PASSIRAC

 

Une Heureuse Nature

 

§ HISTOIRE - au fil du temps

 

Une inauguration agitée à Passirac
par Michel Kahn

 

Les commissaires soussignés ont l'honneur d'informer le public que, le dimanche 26 avril 1885, il sera procédé à Passirac, à 2 heures et demie de l'après-midi, à la touchante cérémonie de l'inauguration d'un Monument élévé à la mémoire des soldats des communes de Passirac et Chillac morts pour la défense de la patrie en 1870-71.

 
 

C'est ainsi, par voie d'affiches, que la population de ces deux communes du Sud-Charente, dans le canton de Brossac, était conviée à assister à cette « touchante cérémonie ». L'érection de cette « pierre commémorative » avait été décidée par un comité. Dans les documents conservés par M. Peynaud, ancien maire de Passirac et descendant d'un des participants de ce comité (M. Delafaye, de chez Viaud), nous avons relevé celui-ci :

 

* Les sous-signés, habitants de Passirac et de Chillac, acceptent de faire partie du Comité ayant pour but l'organisation d'une fête à lôccasion de lenouguration d'un monument commémoratif élevé le 26 avril 1885, en lhonneur des enfants de leurs communes tués à lennemi en 1870-71. Ils se chargent aussi de préparer le banquet démocratique qui aura lieu à Passirac, le soir de ce même jour.

Signatures :

 
 

PASSIRAC

CHILLAC

Moizan

Delafaye, chez Viaud

Delafaye, vétérinaire

 

 

Vrillaud

Tétoin

Chadenne

Romain Verdon

Chaigneau

* orthographe authentique

Ce comité avait peut-être pris pour exemple celui qui s'était créé à Barbezieux. En effet, l'un des membres de ce dernier, par lettre du 29 mars 1885, encourage les Passiracais :

 

Le comité formé à Barbezieux dans le but d'élever un monument commémoratif en l'honneur des enfants de cette cité tués en 1870-71, vous félicite de votre patriotique initiative à laquelle il souhaite vivement que M. le Maire de votre commune s'associe de suite.

... Je sais que c'est un homme d'intelligence et de cœur... Les convictions politiques de votre maire ne datent pas d'hier :

il était, m'a-t-on dit, républicain sous l'Empire...Quoiqu'il en soit, comme la pose d'une pierre en souvenir des enfants de Passirac, morts pendant la guerre néfaste n'est pas et ne peut être une réclame politique, je pense que M. Ribéreau n'hésitera pas à vous aider...

 
 

Ces encouragements, notre comité en avait bien besoin car il semble que les démarches furent difficiles, comme en témoigne la lettre suivante, écrite le 5 avril :

 

Monsieur et cher patriote,

 

J'ai écrit hier à M. le docteur Meslier, le priant de voir tout de suite M. le sous-préfet de Barbezieux pour qu'il aplanit les difficultés qui vous arrêtent. Ne perdez donc pas courage et tenez bon pour le 19 avril. Votre œuvre est de celles qui triomphent de tous les empêchements, de tous les mauvais vouloirs. Quand votre pierre sera debout, les réactionnaires vous rendront eux-mêmes justice, tout honteux de l'inqualifiable opposition qu'ils vous font aujourd'hui...

 

Le signataire est P. L. Imbert, à Castaing par Lamonzie St-Martin (Dordogne).

 
 

Que devait-il se passer ce 19 avril ? Eh bien ! le maire devait recevoir une pétition comme le prouve la lettre que M. Delafaye envoie au chef de la commune le 18 avril :

 

 

...La pétition que j'ai l'honneur de vous adresser, Monsieur le Maire, en mon nom et au nom d'un grand nombre de vos administrés, avait pour but de vous demander l'autorisation d'élever dans le cimetière de la commune de Passirac ou dans le petit emplacement qui est à côté et en dehors ou bien dans le jardin de l'école, un monument à la mémoire de braves soldats de cette commune morts en 1870-71 pour la défense de la patrie.

Il s'agit ici, Monsieur le Maire, d'une œuvre patriotique à laquelle doivent s'associer tous les hommes de cœur, sans distinction de partis...

 
 

 

Dans la nuit même, le monument fut renversé par des bonapartistes. La colère fut grande chez les républicains. Ces évènements, et c'est là que le folklore prend peut-être le pas sur l'histoire, donnèrent naissances à des écrits vengeurs de la part d'un « Républicain » (la Marseillaise des vandales) et d'un « anti-Napoléon » auteur de deux chansonnettes.

 

La « Marseillaise » comprend 6 « sifflets » (couplets). Les cinq premiers relatent la fête et la triste nuit qui suivit; l'œuvre se termine ainsi :


Enfin je vais vous dire adieu.

Mais avant que de nous quitter

Je veux que nous causions un peu

De cette race d'exilés (bis)

Qui croit toujours au nom des lois

Renverser notre République.
Jurons donc tous d'un cri unique

Plus d'empereurs, de tyrans ! plus de rois !

REFRAIN

Allons Badingouinards, reniez Napoléon,

Car de son nom

Jamais bien sûr, jamais nous n'en voudrons.

 

Le feuillet fut envoyé à M. Delafaye, et l'écrivain local avait ajouté :

 

« Publiez le plus possible ces petits chants. Mes salutations. Un ami. »

« L'anti-Napoléon » écrivit dix couplets, sur l'air « Fualdès »; il nous fournit quelques détails supplémentaires.


Près du hameau Clavurier,

Sur le bor de la route,

S'élevait sans qu'il en coûte

A la commune un denier,

Un funèbre monumen

En l'honneur de nos enfants...

 

Ce monumen ci précieu

Fait en pierre de taille,

Dû à Monsieur Delafaye,

fut un œuvre très glorieu

Façonné sur le terrain

Par le nommé Fabien...

 

Et pour parler de la nuit du crime :


Ici la plume refuse

De dépeindre les noirceurs

Car elle lui font horreur,

Des badinguets pleins d'astuce,

Ils n'ont point craint pour cela

De commettre l'attenta...

 

Une troisième chanson populaire accuse encore les bonapartistes :

chanson d'un anti-Napoléon
chanson d'un anti-Napoléon

Au clair de la lune

Badinguets criaient

Selon leur coutune

Ils étourdissaient.

Les rues du village

Témoins des méfaits

Virent dans leur rage

Ce qu'ils avaient fait. 

 

Au clair de la lune

La bande sans bruit

Des vandales accourru

Et a bien détruit

Un grand monument

En forme de tombeau

Dressé pour nos enfants

Morts comme des héros. 

 

En apprenant la nouvelle de « l'attentat », M. Delafaye fut frappé de douleur et jura que l'obélisque serait relevé, « dusse-t-il aitre remplacé par le bronze », comme il l'écrivait à un imprimeur de Barbezieux le 29 avril 1885. Mais il précise aussitôt que ses ressources ne le lui permettraient pas et, d'autre part, pour lui, l'usage de ce métal est réservé aux « colos (colosses) sanguinaire des temps passé ».

 

Mr Peynaud s'est fait un devoir de réaliser ce vœu de son parent. À l'aide d'un tombereau, il a réussi à remettre deux des trois blocs de pierre en place (le troisième avait disparu), il y a une vingtaine d'années. Et son désir est de faire apposer une plaque portant les noms des morts de cette guerre 70-71, et ensuite de céder ce monument à la commune qui en deviendrait la gardienne.

Nous lui avons demandé si les auteurs du crime avaient été connus et arrêtés :

 

« Il y en au moins deux dont nous connaissons les noms, mais la sagesse humaine a fait qu'il n'y a pas eu d'action en justice ».

 

Et ce n'est nullement pour réveiller des querelles, qui n'ont d'ailleurs plus de raison d'être, que M. Peynaud a entrepris son action, mais simplement pour réaliser les dernières volontés de son parent et c'est avec une profonde émotion qu'il nous en a fait part.

 

sources :

Société d'Études Folkloriques du Centre-Ouest - Une inauguration agitée à Passirac - 1982